Luc 3, 10 - 18 : "il te plait pas, Jean ?"

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NARBONNE

Dimanche 12 décembre 2021

3ème dimanche de l’Avent

LUC 3, 10 - 18

 

«il te plait pas, Jean ?»

 

Introduction : Jean Baptiste, un personnage pour le moins atypique, il faut bien le reconnaitre, et face à lui, des foules et des pécheurs du type collecteurs d’impôt, et soldats à la détestable réputation… Cet homme harangue ses auditeurs non pour les mettre plus bas que terre, bien au contraire : « Jean annonçait la Bonne Nouvelle au peuple et beaucoup d’autres encouragements ».

Jean est un des maillons d’une longue chaine de porteurs et de porteuses de la Parole dont nous sommes aujourd'hui encore les bienheureux bénéficiaires. Qui est Jean ? Qui sont ses auditeurs ? Comment et pourquoi en sont-ils arrivés là ? Qui sont les maillons actuels ? Comment, à notre tour, accueillons-nous l’espérance de la Bonne Nouvelle dont ils et elles sont les porteurs ? C’est ce dont nous allons parler ce matin.

 

1) : Jean le baptiste : Qui est Jean, cet homme qui, dans le désert, a fait entendre sa voix et attiré à lui toute sorte de juifs et peut-être de non-juifs car notre texte parle du peuple et de « foules » donc d’anonymes, pourquoi pas des étrangers ? Qui est-il ? « Le dernier des prophètes ? Un essénien de Qumrân ? L’homme de l’Avent de de l’Avenir ? ». La tradition chrétienne a vu en lui le dernier prophète de l’Ancienne Loi, mais aussi, en tant que précurseur de Jésus, le prophète unique des temps nouveaux, celui qui ouvre l’âge messianique. A la charnière des deux spiritualités, il apparait comme une figure aux traits archaïques, mais aussi comme un novateur placé à l’aube d’une ère nouvelle[1] » Nous focaliserons notre attention sur le personnage tel que Luc le décrit.

Jean a une destinée d’exception qui commence avant même sa naissance. Nous l’avons surpris à se manifester, avec ses petits pieds, dans le ventre de sa maman, Élisabeth, lorsqu’elle reçoit sa petite cousine, Marie, qui vient lui parler d’évènements miraculeux : un ange lui a annoncé que l'Esprit saint l’avait couverte de son ombre et qu’elle mettrait au monde un enfant qui serait appelé Fils de Dieu ! Lui, Jean, est aussi le fruit d’une intervention de l'Esprit Saint qui offre à ses parents, qui ont largement dépassé l’âge de procréer, un cadeau inattendu : un enfant. A cette occasion, Zacharie, son père, que l’annonce d’un fils a laissé dubitatif, sera muet jusqu’à sa naissance ; alors que sa mère, Élisabeth est dans la reconnaissance et la joie pour cette maternité tant souhaitée. Le choix de son prénom, est imposé par Élisabeth ; « sans blague, si les femmes se mettent à décider, où va-t-on ? » Mais, à la surprise générale, Zacharie confirme, même si Jean est un nom qu’aucun autre homme de la famille n’a porté. Bref, Jean est posé sur des rails sanctifiés, je veux dire, mis à part, dès sa conception, pour une destination singulière. Sa vie est marquée du sceau de l'Esprit Saint et les années qui suivent le confirment.

Nous le retrouvons, sur les bords du Jourdain, après qu’il ait reçu un appel du Seigneur, occupé à baptiser d’eau tous ceux qui viennent à lui. Nous passons sur les premiers versets du chapitre 3 où Jean les agonise : « espèce de vipères… montrez par des actes que vous avez changé …la hache est déjà prête à couper les arbres à la racine… » (v. 7-9). Ben dis donc ! il n’y va pas avec le dos de la cuillère, comme on dit chez nous. Et pourtant, son auditoire accepte ses invectives et mieux, demande : « Que devons-nous faire ? » Cette demande est formulée trois fois. Ces trois demandes pourraient peut-être symboliser la totalité du temps présent, passé et avenir. En tout cas, les personnes qui viennent à Jean, en ce début de notre ère, ressentent un impérieux besoin de faire ce qui est juste aux yeux du Seigneur. Nous laisserons de côté les curieux et les opposants qui cherchent la petite bête pour prendre Jean en défaut. Ils y arriveront hélas. Nous connaissons la fin tragique de Jean. 

 

2 des questions et des réponses : trois fois la même question ! Jean ne pouvait manquer de répondre à ce : « que devons-nous faire ? ». Lui, a choisi une vie d’ascèse, de solitude, habitué à l’âpreté du désert, n’impose à personne d’imiter ses choix de vie. Il répond en s’adaptant à chacun de ses interrogateurs sans imposer des actes impossibles à vivre pour le commun des mortels même si ce qu’il propose peut être compliqué à mettre en place. Il voit bien que ces questionneurs sont en prise avec une conscience qui les accuse ; et avec des réponses spécifiques à chacune des catégories, il propose des solutions qui, pour radicales qu’elles soient, restent accessibles. Étonnement, elles ne sont pas sacrificielles mais éthiques. Pas besoin d’aller au temple sacrifier quelque animal que ce soit. Non, Jean affiche dans ses réponses, en creux, un condensé de la Loi : la règle d’or. « Fais aux autres ce que tu voudrais qu’on te fasse ; ne leur fais pas ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse ».

Aux foules, il parle de partage, de plus démunis à aider, de compassion devant la détresse matérielle des nombreux miséreux, impécunieux et affamés. L’épisode de la multiplication des pains montre combien se déposséder pour des affamés est difficile, même pour les apôtres.

Aux collecteurs d’impôts, il demande l’honnêteté : ne pas prendre plus que ce que César impose, ne pas se servir au passage. Car de fait, le peuple devait quasiment payer l’impôt deux fois : une fois à Rome et une fois au collecteur d’impôt. Souvenons-nous de Zacchée qui propose de rendre au quadruple ce qu’il a volé au peuple.

Les soldats eux, devraient se contenter de leur solde et ne pas imposer des dessous de table, pratique courante dans le monde romain.

Une remarque : Jean ne condamne pas des métiers qui à l’époque étaient pourtant plus que douteux, et donc abhorrés par le peuple. Il les replace simplement au plus près de la solidarité et de la justice.

Jean, donc, sur les bords du Jourdain, accueille et baptise dans l’eau tout en ouvrant la voie à une pratique solidaire proposée à celles et ceux qui venaient à lui. La prophétie faite à son père s’accomplit :   « Il ramènera beaucoup d’israélites au Seigneur, leur Dieu. Il ira devant lui, avec l’esprit et la puissance d’Elie [2]».

 

3) et nous, que devons-nous faire ? : Aujourd'hui, comme au temps de Jean, la vie est devenue pour beaucoup un sac de nœuds dans les linges de nos vies, passés à la machine à laver des vécus quotidiens, et comme disait Coluche : « après, t’as la semaine pour défaire les nœuds », bref, notre vie n’est pas une suite de lessives peinardes… Les soucis familiaux, le travail sans garantie, la maladie, les embuches financières, le monde qui part à vaux l’eau… et nous, nous sommes là, dans ce sac de nœuds affectifs, mentaux, sociétaux… chacune, chacun avec sa vie, ses joies et ses soucis et pire que des simples soucis parfois. Nous ne sommes, me semble-t-il, en rien différents des auditeurs de Jean ou de tous les prophètes qui l’ont précédé et aussi des prédicateurs qui lui ont emboité le pas : Jésus, les apôtres et les disciples, tous porteurs de la Parole, Bonne Nouvelle pour tous les humains. Nous aussi, nous demandons au Seigneur : « que devons-nous faire ? »

Cet épisode m’a fait remonter au cœur un billet d’humeur qu’un pasteur avait déposé au Cep il y a bien des années. Il racontait sa vie de pasteur, et particulièrement de prédicateur. Il décrivait sa paroisse comme une arche de Noé, pleine à craquer d’animaux que le Seigneur avait voulu ensemble dans cet espace plus confortable que l’arche quand même ! Il y avait les chats qui cherchaient la chaleur et ne bougeaient que pour aller s’alimenter ou faire leurs besoins :  « tu crois pas que vais sortir avec ce temps de chien quand même ! ». Les chiens qui suivaient systématiquement leur maitre quand il se déplaçait pour présider un culte dans une autre arche : « ben quoi ? y a que lui qui sait dire les choses ». Les chèvres, obstinées et capricieuses, toujours prêtes à chevroter, je veux dire à chipoter sur un texte, une expression ou une positon théologique, une décision synodale ou presbytérale : « mais bien sur que j’ai raison ! si on m’écoutait plus souvent… ». Les chameaux qui sortaient de leur désert et venaient s’abreuver deux ou trois fois par an lors des grandes occasions dans l’oasis du Seigneur : « je fais le plein quand je viens, j’en aurai bien assez jusqu’à la prochaine grande occasion ! » La liste n’est pas exhaustive, cela va sans dire !

Ah ! je me dis que je suis selon les occasions, sans doute aucun, un jour chat, un jour chien, un jour chèvre, un jour chameau… ça dépend le plus souvent du prédicateur annoncé.

Seulement voilà, le Seigneur lui en a décidé autrement : il a posé sa Parole de grâce et d’espérance en plein milieu et pas celles et ceux qui la partagent. Je ne crois pas qu’Il ait une préférence pour un prédicateur à un autre ; et il est probable que le costume animalier que nous enfilons selon les dimanches doit le faire sourire. Il connait ses humains comme sa poche, enfin, si j’ose le dire ainsi. Lui, il sait bien que s’il a offert à son Église tant de diversités pastorales et oratoires, c’est justement parce qu’elle est multicolore dans ses cœurs et dans ses engagements. En offrant un large éventail de porteurs de sa Parole, Il a trouvé le truc pour que chacun, chacune entende, accueille, et vive cette Parole de vie.

Selon les époques, Il a suscité des prophètes qui n’étaient pas vraiment tendres avec le peuple. Il a appelé Jean le baptiseur pour qu’il annonce la repentance et baptise d’eau. Puis dans un miracle qui nous bouleverse, Jésus est venu. Il a lui aussi prêché la Bonne Nouvelle mais avec ce qu’il était lui, animé d’un amour inconditionnel, posant son regard d’accueil sur les justes et les pécheurs, sur les hommes et les femmes, sur les juifs et les non juifs. Il a choisi, pour lui succéder, ses apôtres et nous savons bien qu’ils étaient loin d’être parfaits, et pire si affinité… c’était parfois de vrais bourriques, mais c’est pourtant eux qu’il a envoyés jusqu’aux extrémités de la terre, pour proclamer à leur tour, la Bonne Nouvelle, pour baptiser et enseigner à toutes et tous sans exception. C’est ainsi qu’à travers le temps, l’histoire des enfants de Dieu a évolué grâce à la prédication d’appelé(e)s bien imparfaits. Car ensuite c’est l’Esprit qui consolide ces commentaires, ces méditations, ces exhortations, humaines et hétérogènes. La lumière du Seigneur, c’est comme un passe-humain. Elle traverse celui ou celle qui la porte pour pénétrer nos cœurs. A condition évidemment que nous ne fermions pas les yeux et que nous soyons là !

Et nous voilà, nous, ici, à Narbonne, ensemble, avec nos similitudes et nos différences, nos positions théologiques plurielles, orthodoxe ou libérale, trinitaire ou unitarienne, déployées comme un éventail aux multiples couleurs. Dimanche après dimanche, et même dans la semaine, nous sommes nourris de la Parole, plat du jour incontournable, vital, et toujours différent : ça dépend du popotier ou de la popotière de service. Je vous regarde… quel beau spectacle m’offre le Seigneur : une famille à la « Joséphine Baker », hétéroclite, mais dorlotée, choyée par un Père unique, un Frère solidaire et aimant, et l’Esprit qui combine, amalgame, colmate de son fruit admirable et surprenant cet auditoire panaché que nous appelons l'Église.

 

4 ) Conclusion : Le Seigneur nous veut, dans son  Église, non pas « malgré » mais « avec » des Jean, pas toujours tendres, des Jésus au regard d’amour, des apôtres qui oublient qu’ils sont aussi destinataires de leurs prédications, des prédicateurs exercés ou malhabiles, novices ou universitaires, avec lesquels nous avons ou pas des atomes crochus et avec lesquels nous formons, brinque branle, tous ensemble, assis ou en chaire, l'Église du Seigneur.

En conclusion, écoutez cette histoire racontée par Antoine Nouis :

Selon la légende, lorsque Jésus a décidé de choisir les apôtres, il a pensé organiser un concours à l’issue duquel il retiendrait les 12 meilleurs.

La première épreuve est le concours de prière. Certains candidats choisirent leurs mots avec le plus grand soin, en cherchant à marier la justesse théologique et la finesse poétique. D’autres s’adressent à Dieu avec beaucoup d’autorité en utilisant des formules chocs. D’autres encore récitent une prière liturgique avec noblesse et solennité. Jésus est déçu, car il lui semble que toutes les prières sont belles mais qu’elles manquent de sincérité.

La seconde épreuve est le concours de célébration. Certains candidats portent des habits liturgiques et font brûler de l’encens, d’autres insistent sur la louange et la musique, et les derniers refusent la liturgie au nom de la spontanéité. Là encore Jésus trouve qu’il y a trop de spectacle et pas assez de cœur.

La troisième épreuve est la prédication. Les premiers développent un raisonnement très bien construit en trois parties comprenant chacune deux sous parties. Les seconds interpellent l’assemblée et terminent par un appel à la conversion, et les derniers présentent une vidéo sur laquelle on voit Jésus parler à la foule.

Le concours se termine et personne n’a gagné. Il n’y aura pas d’apôtres. Jésus décide de descendre de la montagne pour aller se rafraichir près du lac. Il voit des pêcheurs qui travaillent. En remarquant le cœur qu’ ils mettent à jeter leurs filets, Jésus les appelle. Ils seront ses apôtres, des pêcheurs d’hommes[1] ». (fin de citation). Des pêcheurs d'homme... une longue chaine de pêcheurs d'homme... et toi, être un maillon de cette chaine, ça te dirait ? Amen.

 

[1] Antoine Nouis un catéchisme protestant  p. 607

 

 

 

 

 

 

 

[1] https://books.openedition.org/pup/4174?lang=fr Ce volume 48 de la collection "Senefiance" rassemble les textes des quinze communications qui ont été prononcées lors du colloque organisé par l'équipe de recherche du CUER MA les 22-23-24 février 2001 à l'Université de Provence. Le choix du sujet a été déterminé par l'engagement pris au mois de novembre 1993 d'inscrire ce colloque parmi les manifestations proposées à Aix-en-Provence dans le cadre du 750e anniversaire de la fondation d'un lieu de culte à Saint-Jean-de-Malte.

 

[2] Luc 1, 16, 17

[3] Antoine Nouis un catéchisme protestant 4è édition page 598

Publié dans Prédications

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