Matthieu 22, 34 - 40 "ah ! l'amour !"

Publié le par lecoeuretlamain.over-blog.com

Perpignan 25 octobre 2020

 

Matthieu 22, 34 – 40 le plus grand commandement

 

Fil rouge : «ah ! l’amour ! »

 

Introduction : ça n’en finit pas ! Matthieu a choisi de poser, l’un derrière l’autre, des évènements ou des histoires qui confrontent Jésus à une opposition décidée et systématique. Voici, pêle-mêle, les grands prêtres, les anciens, les saducéens et maintenant les pharisiens, et vice-versa, bref, un ensemble massif qui fait corps comme un seul homme contre lui. Comme on dit chez nous, ils défendent leur croustet avec ténacité mais aussi fourberie ; et franchement, leur mauvaise foi, ou plutôt leur mauvaise volonté aurait pu faire flancher Jésus, ou pour le moins, l’agacer sérieusement. C’était déjà arrivé. Mais non, pas du tout. Et sa réponse à la question-piège est, pour nous, un modèle à méditer. Je vous propose trois parties pour cette méditation.

- Avant même la Loi, nous parlerons de Celui qui l’a promulguée.

- Puis j’examinerai la réponse de Jésus en deux points : une première affirmation, prévisible mais insolite et singulière à la fois et il aurait pu en rester là ; mais il y ajoute une réponse complémentaire, dans laquelle nous sommes directement impliqués, en effet le « toi-même » m’interpelle de front, car ce « toi-même », c’est « moi-même » et chacune, chacun de nous.

- Enfin, j’illustrerai cette réflexion avec un exemple, tout humain.

 

  1. L’amour premier : Commençons par la préoccupation première du pharisien : le plus grand commandement de la loi. Il faut dire que les pharisiens ont dénombré, beaucoup plus tard, dans les targum et la mishna 613 misvot, elles-mêmes diluées en une multitude d’applications, d’interprétations discutées avec passion dans des écoles rabbiniques. N’oublions pas cependant que ces discussions sont, pour eux, la voie ouverte à une meilleure compréhension de la Loi et une façon de la vivre mieux au jour le jour. Déjà, du temps de Jésus, vivre la Loi, selon la tradition écrite au fil des siècles, était fichtrement compliqué.

Mais d’abord, et c’est normal, parlons de celui qui a écrit les 10 paroles qui font loi, de son doigt, sur 2 tablettes de pierre. Enfin, compte tenu du sort réservé aux deux premières, je devrais plutôt dire, sur quatre tablettes. Mais comment parler de lui ? Dire « Celui » ou « Lui » c’est déjà dériver dans une anthropologie masculine qui fait couler beaucoup d’encre de nos jours. Je m’en tiendrai, pour ma part, aux normes habituelles pour le désigner. Mais surtout, il y a ce « nom » offert à Moïse sous forme de 4 lettres séparées par un vide : Y H W H, comme si je disais : « Y espace H espace W espace H espace. Ces 4 lettres et leurs vides disent, en hébreu, non pas un nom mais un dynamisme jamais freiné, jamais en berne, jamais arrêté qui va d’hier à demain en passant par aujourd'hui. Un commentateur parle d’un « scandale linguistique, un abracadabra indicible, voire une impossibilité de prononciation[1]». Du coup, pour éclairer un peu le tétragramme, lui est adjoint un souvenir fabuleux : « c’est moi qui t’es fait sortir du pays d’Égypte », c'est-à-dire, je ne suis pas figé dans un nom que les humains pourraient me donner : Dieu, Éternel, Seigneur ou comme les juifs «Hachem, le nom », mais je suis, j’ai été et je serai agissant, protégeant, délivrant. Ces 10 paroles aux hébreux, mes enfants, c’est tellement sublime, beau mais général à la fois que l’on comprend le pharisien qui voudrait un résumé simple, clair et facile à appliquer. Un exemple : « tu ne tueras point ». Oui, d’accord, mais quand c’est de la légitime défense ? quand je dois obéir aux ordres en temps de guerre ? quand ma vie est menacée ? ne pas tuer, seulement les humains ?  et les animaux ? L’homme est un fichu poseur de questions et ça lui prend très tôt quasiment dès qu’il peut dire son premier mot. Dis papa, pourquoi et pourquoi et pourquoi ?..... Du coup, la question du pharisien me semble légitime même si elle me rappelle, à cause de son intonation sournoise, une autre question qui remonte au début de le Genèse : « est-ce que Dieu a dit que… », car, apparemment, ce pharisien questionneur-là voudrait bien que Jésus glisse sur cette question – peau de banane comme le fit avec Ève son machiavélique prédécesseur.

Ainsi d’abord, avant quelque commandement ou parole que ce soit, il y a le don premier de celui qui est, qui était et qui vient, qui se présente comme « je serais qui je serais », non pas une idole modelée de main ou de pensée d’homme à adorer avec un nom pétrifié par la vision que les humains s’en donnent, mais l’indicible mouvement d’amour, toujours créateur, toujours donateur, toujours là et souvent même où on ne l’attend pas. D’ailleurs Jésus va utiliser une expression qui décentre de son socle inamovible l’obéissance aux commandements, pour ouvrir aux humains une voie plus affinée où ils sont appelés à être des interlocuteurs d’amour. Interlocutons donc ensemble.

 

  1. L’amour et les deux  commandements : Car Jésus, c’est Jésus ! et il mitonne à son allocutaire une réponse aux petits oignons. D’abord, il arrive à ce tour de force inouï de résumer la loi en inventant de nouveaux mots pour la dire, car nous ne lisons nulle part dans le Pentateuque les mots qu’il prononce et qui résument si bien la substance même de la loi. Et, il ajoute à ce résumé condensé et lumineux une notion qui nous est familière : l’amour ! « « Tu aimeras ton Dieu »… ce qui va lui donner l’occasion de rajouter un second « tu aimeras… » que Luc illustrera avec l’histoire du « bon samaritain » pour faire ressortir la quintessence de l’amour pour les autres, indissociable de l’amour pour Dieu. Comme l’écrit le commentateur cité précédemment : « Jésus transfère des commandements d’exclusive, de non-figuration, de non-dénomination trompeuse, dans un commandement d’amour ». Ce que Dietrich Bonhoeffer cristallise en une phrase, je cite : « notre relation à Dieu est une vie nouvelle dans l’être-là-pour-les-autres[2] ».(fin de citation)

 

L’amour est le moteur de toute cette histoire : celui d’un Dieu qui aime le premier ses enfants de la terre, qui vivent en retour l’amour pour Lui dans leur amour pour leurs semblables et aussi pour leurs dissemblables.

Le premier commandement que Jésus énonce, nous pouvons le lire dans le livre du Deutéronome au chapitre 6. Ce n’est pas une nouveauté en soi. Ce qui en fait la force, c’est qu’il soit imbriqué indissociablement dans l’amour du prochain et de soi ! Voilà de l’inédit. « Et voici le second qui lui est semblable ».

Les psychanalistes savent que si l’on ne s’aime pas soi-même il est quasiment impossible d’aimer quelqu’un d’autre. Et pour s’aimer soi-même, quoi de mieux que de vivre un amour, inconditionnel, sans faille. Accueillir l’amour du Christ, Christ en moi, c’est accepter de se voir dans une lumière régénératrice, porteuse de rayons incandescents et irradiants qui débordent jusque dans les cœurs de celles et ceux que nous approchons.

Alors, aucun doute, ce « comme toi-même » est essentiel pour vivre ce « tu aimeras » ton prochain.

 

3 ) un exemple : Luther  : En ce dimanche que nous appelons « de la Réformation » nous pouvons illustrer cette péricope avec un exemple tout humain, celui de Martin Luther. Il se sentait toujours condamné et il luttait contre des affres de terreur, en se regardant vivre, toujours pécheur, sous une Loi qui le conduisait, inexorablement, à un enfer inéluctablement chaque jour plus proche. Je le cite : « ma conscience était extrêmement inquiète et je n’avais aucune certitude que Dieu fut apaisé par mes satisfactions. Aussi je n’aimais point ce Dieu juste et vengeur. Je le haïssais. » Et puis, sa lecture de l’épitre aux Romains enleva de son cœur les écailles légalistes qui l’aveuglaient et le tenaient dans la haine de Dieu. Vint le temps où tout changea pour lui. Je cite : « Dieu nous justifie par la foi. Dès lors, je me suis senti renaître, comme si j’étais passé par la porte du paradis. Toutes les Écritures revêtaient un sens nouveau. Les passages où « la justice de Dieu » me remplissaient auparavant de haine devenaient maintenant pour moi inexprimablement doux et faisaient monter en moi un plus grand amour. » Nous connaissons la suite puisque nous sommes ensemble, ici, exemples vivant de cette prodigieuse grâce qui est le fondement de notre vie.

 

Conclusion : Antoine Nouis, résume tout à fait notre méditation quand il écrit : « Dieu est amour, s’il est amour, je peux l’aimer. En aimant Dieu, je comprends qu’il m’aime, et je peux m’aimer même. En m’aimant moi-même je suis en mesure d’aimer mon prochain… qui me renvoie à l’amour de Dieu[3] ».

Alors comment ne pas conclure notre méditation avec la fulgurante intuition de l’apôtre Paul qui nous invite à entrer sur le chemin où Jésus marcha le premier. Ecoute : « L’amour est patient, l’amour rend service. Il n’est pas jaloux. Il ne se vante pas, il ne se gonfle pas d’orgueil. L’amour ne fait rien de honteux. Il ne cherche pas son intérêt, il ne se met pas en colère. Il ne se souvient pas du mal. Il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il se réjouit avec la vérité. L’amour excuse tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout. L’amour ne disparait jamais. (…) maintenant trois choses sont toujours là : la foi, l’espérance et l’amour. Mais la plus grande des trois, c’est l’amour [4]». Amen.

 

 

[2] D . Bonhoeffer, Résistance et soumissionLettres et notes de captivité, nouvelle éd., trad. B. Lauret avec la coll. de H. Mottu, Labor et Fides 2006, p. 452.

[3] Antoine Nouis l’aujourd'hui de l’Évangile p. 376

[4] 1 Corinthiens 13, 4 - 13

Publié dans Prédications

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