Wilfred Monod SILENCE ET PRIERE 31 : "Victoire"

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SILENCE ET PRIÈRE

Wilfred MONOD

Chapitre 31

VICTOIRE

« Nous restons plus que vainqueurs»

(Romains 8,3)

« La mort a été engloutie dans la victoire ».

(I Corinthiens 15,54)

Hébreu né d’Hébreux, pharisien fanatique, persécuteur de l’Eglise, Paul fait litière de ses antécédents ; il propage la foi en un charpentier juridiquement assassiné, il « prêche Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié ; » et, pour proclamer cette folie, ce scandale, il emploie la langue de Platon ! Le langage harmonieux qui avait chanté Vénus et Mars, Apollon et Diane, devenait soudain le dépositaire des mystères évangéliques, et le vocabulaire de l’Iliade se déformait sous le poids du Péché et de la Grâce, du Sacrifice expiatoire et de la Résurrection finale.

On admire à bon droit les missionnaires contemporains qui traduisent le Nouveau Testament dans un jargon barbare, pour quelque peuplade polynésienne ; mais le Nouveau Testament, lui-même, existerait-il sans l’apôtre ? Il est le colosse qui dompta l’hellénisme, qui enfourcha ce coursier rebelle, et le poussa jusqu’à Bethléem. Génie créateur, c’est Paul qui a formé de toutes pièces le langage de la piété chrétienne ; avant lui, jamais une ligne n’avait été tracée, ici-bas, à la gloire du Ressuscité… Il composa : ce fut l’apparition d’un monde nouveau. Et depuis lors, depuis deux mille ans bientôt, chaque fois que les disciples du Nazaréen ont voulu pleurer ou prier, combattre ou penser, ils ont coulé leurs sentiments dans l’impérissable moule façonné par Saul de Tarse.

Que les obscurités de l’apôtre ne nous émeuvent donc point ! Ce sont les ombres projetées par une montagne. Mais gravissons ce pic, dont la cime éblouissante rayonne paisiblement au soleil de l’éternité, et nous verrons, là-haut, se dissiper les ténèbres.

Faut-il s’élever moins près du ciel pour jouir d’un panorama aussi vaste, aussi accablant pour l’imagination, que celui qui se déroule aux yeux de l’apôtre, et qu’il décrit en ces termes : « Tout est à vous, soit Paul, soit Apollos, soit Céphas, soit le monde, soit la vie, soit la mort, soit les choses présentes, soit les choses à venir. Tout est à vous, et vous à Christ et Christ à Dieu » ?

L’apôtre nous invite à promener notre regard sur les cieux et sur la terre, et à nous écrier : Voilà ma propriété !

Et, en effet, si le domaine moral commande les autres domaines, si la volonté de Dieu est le centre et le support de l’univers, être en harmonie avec l’Eternel par Jésus-Christ, c’est trouver le secret de le l’empire illimité sur les choses. La sainteté se soumet le monde, parce qu’elle est la conformité volontaire aux plans du Père à l’égard du monde.

Dès lors, comment le chrétien ne serait-il point participant à la royauté de son Maître ? Il possède, en réalité, toutes choses. Car on possède ce que l’on peut utiliser ; tandis que, malgré les actes notariés, on ne possède pas, effectivement, une mine de charbon, si l’on n’a pas les moyens de l’exploiter. De même, bien que le flux et le reflux des marées constituent une source intarissable d’énergie motrice, l’humanité ne possédera point cette force, qui est à elle, aussi longtemps qu’elle ne saura pas la capter. Quand l’apôtre affirme que l’univers entier rentre dans le patrimoine du chrétien, il exprime donc cette vérité élémentaire que le chrétien seul sait discerner ici-bas, à travers la poussière et le tumulte des évènements, le sens caché des choses, leur providentielle utilité et leur signification éternelle.

A moi, disciple de Jésus-Christ, à moi ce qui est, le Réel. Que je pleure ou que saigne, que je me heurte aux pierres du chemin ou à la méchanceté des hommes, que je sois ou non énervé par les soucis quotidiens, par les vulgarités de l’existence, par la vanité de ce qui brille, par les hypocrisies et les lâchetés des faux dévots, quoiqu’il advienne, je surmonte les circonstances, et je vois toutes les forces de la nature et de l’histoire conspirer à mon service ; car le Calvaire est mon observatoire, et c’est du haut de la croix que je regarde. Par l’union avec le Crucifié, j’apprends à déchiffrer le livre mystérieux des douleurs humaines, j’apprends que, dans le vocabulaire de la Rédemption, défaite signifie victoire, ignominie signifie gloire, crucifixion signifie résurrection.

A moi, disciple de Jésus-Christ, à moi ce qui a été et ce qui sera, l’Indélébile et l’Inéluctable. Les incrédules ne savent pas ce que c’est que c’est que le déterminisme. Leur destinée, disent-ils, s’accomplira par le jeu nécessaire de quelque mécanisme aveugle ? Mais elle commence à peine, pour eux, avec le berceau, ou avec l’apparition antédiluvienne du premier système nerveux, antécédent primordial de leur cerceau, et leur destinée se termine déjà avec le tombeau. Au contraire, je prends conscience, moi chrétien, des indissolubles liens qui me rattachent au Père, dans le passé et dans l’avenir, en la personne de celui qui est « le même hier, aujourd’hui, éternellement », le Verbe, le Logos, la Raison, la Parole. Et j’ose affirmer que si je suis chrétien, le hasard n’en est nullement cause, ni les seules exhortations qui m’ont été prodiguées, ni les seules résolutions que j’ai formées, mais bien la suprême, et libre, et sage, et paternelle, et persévérante volonté du Dieu vivant. Je crois que l’Eternel m’a choisi éternellement. « En Christ, Dieu nous a élus avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et irrépréhensibles devant lui, nous ayant prédestinés, dans son amour, à être ses enfants d’adoption par Jésus-Christ ». L’assurance de mon élection en Jésus-Christ transforme donc en une glorieuse et miséricordieuse nécessité l’apparent fatalisme de ma destinée terrestre.

« Toutes choses sont à vous, et vous à Christ, et Christ à Dieu. » Il est à Dieu, voilà pourquoi il est Christ. A Dieu ! Tout est là, en un seul mot. C’est la pleine et limpide révélation du grand secret. Dès lors, comment le monde ne serait-il pas à nous, si nous sommes à Christ ?

C’était dans la baie de New-York, vers la fin d’une après-midi d’été. J’étais sur le pont d’un navire, à côté d’un jeune savant de la Sorbonne. Le ciel, ruisselant de lumière, se reflétait dans une immense étendue d’eau qui resplendissait comme un miroir. Sur cette mer de nacre et de cristal, les vaisseaux de toutes les nations évoluaient majestueusement, alourdis par les richesses de tous les peuples du monde. Et puis là-bas, au sortir de la baie, entraînant le regard de vague en vague, de flamme en flamme, jusqu’à l’horizon embrasé, l’océan sans limite ondulait lui-même à l’infini comme de l’or liquide. Nous contemplions, en extase. Soudain, mon compagnon, illuminé par une joie intérieure qui faisait pâlir ces splendeurs, s’écria d’une voix vibrante : « Tout cela est à moi, parce que tout cela est à mon Père ! »

Commentaire pratique, et véritablement inspiré, de la parole insondable de l’apôtre.

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