Matthieu 14, 22 - 33 "Je m'y vois !"

Publié le par lecoeuretlamain.over-blog.com

PERPIGNAN 13 AOUT 2023

Matthieu 14, 22 - 33

 

 «Je m’y vois !»

 

Introduction : « tout corps plongé dans un fluide reçoit de la part de celui-ci une force verticale dirigée vers le haut, d’intensité égale au poids du liquide déplacé ». Dieu merci, Archimède n’est pas parmi nous… il nous aurait probablement fait un infarctus ! Chers frères et sœurs, le texte œcuménique de ce jour nous plonge dans un univers bien loin du nôtre, 21ème siècle de la raison et de la science, si j’ose le définir ainsi, et il va nous falloir d’abord faire un petit retour vers le passé pour le remettre dans son contexte d’origine. C’est ce par quoi je vous propose de commencer, avant de tourner les projecteurs vers les acteurs de la péricope, ce que nous ferons dans un second temps. Enfin, nous parlerons de ce qui me semble être le fil rouge de cette histoire : celui de la suivance du disciple, ce que nous sommes, toutes et tous, ici, aujourd'hui.

 

1 ) le contexte :  Situons d’abord le contexte scripturaire défavorable. Après une volée de bois vert à la synagogue de Nazareth où les concitoyens de Jésus ont rejeté son message, ce fut l’annonce de la mort de Jean le Baptiseur, assassiné par Hérode. Cela n’empêche pas les foules de rechercher la présence de Jésus qui dispense tant de guérisons. Une grande journée consacrée à guérir des malades arrive à son terme. Le soir venu, gros problème : sur les bords du lac de Génésareth, où il n’y a pas, comme chez nous en bord de plage, des paillottes proposant nourriture et boissons, Jésus organise un pique nique improvisé et remet aux disciples les 5 pains et les 2 poissons mis à sa disposition, à charge pour ses compagnons de faire la distribution. Tout le monde mangea et il y eut même beaucoup de restes.
Bref, une foule nombreuse dit le texte, est rassasiée, et, on peut l’imaginer, enthousiaste après un tel miracle : non seulement il guérit mais de plus il nourrit ! tu risques pas qu’on le lâche d’un pouce ! Du côté de Jésus, gros coup de fatigue, on le serait à moins, et les disciples ne doivent pas être mieux lotis après cette énorme et stupéfiante distribution miraculeuse impromptue. Jésus ordonne alors aux disciples de monter dans un bateau et d’aller l’attendre sur l’autre rive. Lui va prendre un temps de recul dans la montagne pour y prier. Les foules, elles, devraient retourner dans leurs pénates. Tout va rentrer dans l’ordre.

C’était sans compter avec la nature : après les nazaréens qui s’en sont pris à Jésus et Hérode à Jean, voilà que les eaux du lac s’en prennent aux disciples !

 

2 ) les disciples dans la barque  : Ces hommes ordinaires, issus pour la plupart de ce que nous pouvons appeler « le gros de la troupe », c'est-à-dire, issus des plus basses classes du peuple juif, ont cependant manifesté une force de courage d’exception en quittant tout, pour suivre Jésus. Il n’empêche que leur éducation les plonge régulièrement dans les croyances qui leur sont familières depuis l’enfance.

Il est environ trois à quatre heures du matin, la nuit est sombre, ils sont fatigués, ensommeillés et secoués comme des pruniers par des vagues animées par un vent contraire. Le rivage est loin, ils sont trempés comme des barbets, Jésus les a plantés dans cette galère, si j’ose le dire ainsi, et qui plus est, le lac, dans  les ténèbres de la nuit, est forcément plein d’esprits et de démons, selon ce qu’enseigne la tradition. Et tous les pêcheurs qui y ont laissé la vie… et Hérode qui assassine Jean le Baptiseur… et les eaux qui les jettent un coup d’un côté, un coup de l’autre, et tout et tout et tout… le moral est à zéro, les entrailles sont dans les talons même pour les marins chevronnés ; et que voient-ils ? un fantôme, qui marche sur les eaux, et qui leur parle ! argh… la peur les fait crier, c’est panique à bord.

Et alors ils entendent une voix familière : « Courage, c’est moi, (ego eimi en grec) n’ayez pas peur »…. Cause toujours, fantôme… et c’est pas parce que tu prends la voix de Jésus qu’on va t’écouter !

Dans cette situation extrême, ils ont déjà oublié pourquoi ils avaient tout abandonné pour le suivre. Ils ont zappé tous les miracles auxquels ils ont assisté et même participé, là, hier. La peur paralyse la foi, mais pas les poumons semble t il, à l’exception de Pierre qui, comme à son habitude, va quelque peu fanfaronner : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur l’eau ». « Viens » dit Jésus.

 

3 ) Pierre : J’imagine que Pierre ne faisait pas exception et qu’il était, comme ses condisciples, la peur au ventre, en train de crier au loup, au plutôt au démon. Mais Pierre, c’est Pierre. C’est lui qui a confessé : « Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant[1] » ce qui vaut un nouveau nom à ce Simon confessant ; c’est lui aussi qui déclare : « je suis prêt à aller avec toi, et en prison et à la mort [2]». C’est beau… Seulement, comme tout un chacun, Pierre n’est pas sans défaut, il n’a rien du disciple parfait sachant toujours quoi dire et quoi faire. Il se prendra un « arrière de moi, Satan, » qui a du lui remettre les pendules à l’heure. Son humanité prend parfois le dessus jusqu’au pire quand, le soir de la mise en croix de Jésus, il le renia trois fois publiquement.

Mais nous le connaissons, « franc et fervent, déterminé, passionné, impulsif [3]», souvent prêt à faire avant d’avoir réfléchi, et plutôt sur de lui. Pas étonnant qu’il se retrouve hors de la barque, marchant sur les eaux, objets de son épouvante quelques secondes auparavant. Il a demandé à Jésus de le rejoindre dans l’impulsion du moment sans avoir vraiment fait le tour de la question. Et ce qui devait arriver arriva : « quand il vit la violence du vent, il eut peur et commença à s’enfoncer dans l’eau. Il s’écria : « Seigneur sauve moi ! ». Ce que Jésus fit en étendant la main pour saisir celle de Pierre, geste accompagné d’un reproche non déguisé : « comme ta foi est faible. Pourquoi as-tu douté ? »

 

4 ) je m’y vois ! : J’ai brossé un long tableau de la situation évoquée dans notre texte parce que ce tableau, j’ai la sensation d’en être. Je ne suis pas Pierre, mais son humanité ainsi que celle des autres disciples ressemble tellement à la mienne, avec ses hauts et ses bas, ses combats dans une suivance heureusement consentie mais pas toujours assumée, ses désirs de servir, ses éclairs de lucidité et ses aveuglements, ses ouvertures à la nouveauté de l’autre et ses enfermements dans des jugements hâtifs, sa force qui anime et l’abattement qui peut faire tout oublier jusqu’à la certitude qu’on va couler et même jusqu’au reniement… Bref, Pierre et les autres, c’est moi, c’est toi, leur vie c’est ma vie, c’est la tienne ; et chez Matthieu, c’est toute l'Église embarquée dans des éléments qui sont parfois paisibles, et parfois en tempête mais toujours sous le regard du Seigneur et sa main prête à saisir.

Je laisse à votre méditation la situation de rupture avec les lois de la nature (nous savons tous qu’il n’est pas possible de marcher sur l’eau, et même au temps de Jésus, les disciples le savaient aussi). Je préfère porter mon attention sur un fait que l’attitude de Pierre met en évidence : le vrai danger, ce ne sont pas les conditions extérieures auxquelles le disciple est confronté, situations liées à sa condition d’humain vivant dans un monde d’humains où tout n’est pas forcement rose, c’est la vie, la nôtre ; le danger vient de la faiblesse de sa foi, qui apparait bien fragilisée devant une menace qui semble sans issue, en tout cas, l’issue que le disciple pourrait envisager ou souhaiter.

Dans le cas de Pierre, la solution c’est la main tendue de Jésus qui va les conduire tous les deux jusqu’à la barque. Alors, les éléments déchainés s’apaisent.

Je m’y vois, je nous y vois dans cette tempête de la vie, apaisée par la présence du Christ. Rien n’a changé, les difficultés, les obstacles sont toujours là, devant nous, dans nos vies. Mais Jésus « change notre regard sur le monde ambiant » par sa présence bienveillante, un regard transformé par le prisme de la grâce et l’espérance du salut.

Nous reconnaissons avec Pierre et ses condisciples que le Seigneur peut venir quand il veut, là où il veut, comme il le veut alors qu’on ne l’attend pas ou qu’on ne l’attend plus et à sa façon. Le théologien Eugen Drevermann écrit, je le cite : « Dieu fait que pour Pierre, ce qui menaçait de le tuer devient ce qui le porte. Dieu ne fait donc pas que d’aider à supporter la difficulté, il peut transformer le mal en bien. Et tout ce que nous avons subi ou que nous subissons, peut, avec l’aide de Dieu, devenir une chance, des atouts pour avancer encore mieux dans la vie. L’ultime de cela est bien sûr la croix, outil de torture, symbole de mort, qui deviendra pour des milliers de croyants la puissance de la vie et la résurrection. C’est là un miracle incroyable de ce qui est possible avec Dieu, avec la force de la prière et de la foi.[4] (…) (fin de citation.

 

Conclusion : En conclusion, nous pourrions dire avec le pasteur Louis Pernot, je le cite : «L’idéal de la relation au Christ n’est pas dans cette démarche chaotique du début de l’histoire, démarche faite d’excès de confiance, d’échec, et de secours spectaculaire du Christ. L’idéal de la relation au Christ est juste une présence douce et harmonieuse. Et l’idéal du chrétien est de vivre continuellement avec lui comme compagnon dans sa barque sans rien craindre ainsi ni de la mer ni des tempêtes. Alors, quand on a comme cela son sauveur à son bord dans sa vie, on peut aller loin sans voir peur de rien[5]. » (fin de citation). On y va ? Amen.

 

 

Publié dans Prédications

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article