Marc 4, 26 - 34 : histoires champêtres ?

Publié le par lecoeuretlamain.over-blog.com

   

Narbonne

DIMANCHE 17 juin 2018

Galates 5, 22

Marc 4, 26 – 34

Histoires champêtres ?

 

Quelles belles histoires champêtres à souhait ! Et elles devraient satisfaire toutes celles et tous ceux qui craignent d’avoir des ampoules aux mains. A la lecture de nos textes, à regarder cette semence pousser toute seule et ce grain de senevé envahir l’espace du jardin sans que le jardinier n’ait son mot à dire ou presque… oui, elles me plaisent ces paraboles ! Quoi que tu fasses, la plante fera son chemin sans toi une fois mise en terre ! les auditeurs de Jésus, pourrait bien prendre cette exhortation sans chercher plus loin. Seulement, de ces histoires rurales, accessibles et compréhensibles  au premier degré pour quiconque les écoute (sauf, évidemment, si tu as vécu toute ta vie, dans un immeuble de 30 étages sans balcon ni terrasse), l’évangéliste nous dit : « il ne leur parlait pas sans parabole, mais en privé il expliquait tout à ses disciples »… ah ! il y a une explication ? ce ne sont pas juste de simples constatations agricoles ? Les disciples pendus aux lèvres du Maître ont, bien souvent, été sidérés, à réaliser qu’à travers ses récits agraires, Il était en train de parler d’eux, de leur vie, de leur devenir à travers un truc assez connu à leur époque, mais qui n’était pas du tout ce qu’ils en savaient : le Royaume de Dieu ! Le semeur, la semence, la terre, l’herbe, l’épi, le grain, le fruit, la faucille, la moisson…pour un charpentier, il s’y connait le Jésus… même si, franchement, il n’a pas inventé le fil à couper le beurre hein ? mais voilà que ces activités agrestes, si ordinaires et habituelles sont déplacées dans un champ inattendu, celui du Royaume de Dieu ; ça se complique ! Nous verrons ensemble l’histoire de la semence, puis celle du grain de moutarde et enfin comment les deux derniers versets épicent, si je puis le dire ainsi après une histoire de moutarde, épicent et corsent cette sauce narrative car ils nous sont directement destinés puisque nous aussi, nous sommes des disciples. Et dans cette période de la Pentecôte, nous ferons cette lecture en compagnie de l’Esprit Saint dont le fruit sera notre fil rouge.

 

1) Royaume = semence qui pousse sans nous :

 

En septembre dernier, à l’abri sous l’auvent de la lingerie des sœurs de Pomeyrol, j’attendais le chauffeur qui devait me ramener à la gare, « tranquilou », en laissant mon regard vagabonder sur toute la verdure qui m’entourait. Tiens, là, au pied d’un chêne vert, des glands… chiche ! j’en ramasse quelques uns et, une fois rentrée à la maison, je les ai mis en pot, juste « pour voir » comme on dit. Et paf ! paf ! paf ! il y en a 4 qui ont dit « oui, j’en suis » et sans coup férir, ils commencent à occuper avec leur tige et leurs feuilles bien vertes, un peu d’espace dans la maison. Vous le croyez ? je pensais récupérer mes vases au printemps et les voilà avec des occupants ! ils ont germé, et poussé sans moi, tous seuls comme la semence de notre texte. Pas si abracadabrante cette histoire finalement …

 « le Royaume de Dieu est semblable à un homme qui jette de la semence en terre »…une semence qui va «automatiquement », c’est le mot grec utilisé,  lever et donner son fruit. Une remarque au passage : dans notre XXIème siècle où nous voulons, quelqu’en soit le prix, tout gérer, tout maîtriser, tout contrôler, pire, tout mécaniser, voilà un sérieux appel à l’humilité : la semence pour lever peut très bien se passer de moi. Il n’empêche, si l’on en croit le verset 29, il va y avoir une moisson. Surtout ne  change rien !!! laisse le semeur à qui le Royaume est comparé déposer sa semence, laisse le temps arroser le champ, laisse la nature faire germer. Surtout ne change rien !!!

Cette parabole, ne l’oublions pas, vient à la suite de celle du semeur dont le geste familier va déposer des graines qui le transformeront, quelque mois plus tard, en moissonneur. Nul doute que les disciples, après avoir entendu l’explication de la parabole que nous appelons du semeur, aient bien perçu la leçon : « la terre, d’elle-même, produit… » car par sa nature même, elle est destinée à recevoir de la semence et à produire du fruit. La terre, c’est nous, c’est moi, c’est toi. Et c’est une fabuleuse bonne nouvelle d’entendre que chacun de nous porte en lui la capacité de participer à l’épanouissement du fruit du Royaume. J’ai souhaité lire l’épitre aux Galates pour que nous nous souvenions du formidable fruit que la terre que nous sommes peut voir germer en son sein, celui de l’Esprit. C’est la part qui nous est assignée : accueillir cette semence, lui faire le plus de place possible, la laisser se lover en nous et grandir, grandir, grandir… amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi… la terre c’est toi, et vois ce que le Royaume de Dieu peut en faire !

 

2) le grain de moutarde: Le grain de senevé, lui, va jouer à la grenouille de la fable. Je sais, je suis un peu en avance et même franchement anachronique, mais je le vois ce petit grain s’éclater et grossir pour ressembler à un bœuf !

N’oubliez pas : nous sommes à l’écoute d’un conteur moyen oriental avec toute la verve et l’exagération habituelles à ces narrations. Mais, avec l’utilisation intensive que les juifs faisaient de la moutarde en mélangeant ses grains miniatures, après un séjour dans du mout de vin par exemple, à la saumure ou en le saupoudrant en farine dans les sauces, il est bien dans l’air de son temps que l’arbre devienne aussi grand ; car on en faisait un usage plutôt intensif, en cuisine en particulier mais aussi dans les soins médicaux. Tu te souviens du cataplasme de l’angine de ton enfance ? ouououououhhhh…

Le grain de moutarde, comme la semence précédente, prend sa part dans l’histoire du Royaume de Dieu. Et avec quelle générosité, sa production participe à la vie : même les oiseaux peuvent en profiter ! Dans cette parabole, le Royaume de Dieu est comparé non à un semeur mais à cette graine minuscule qui, va prendre des proportions quelque peu invraisemblables même si nous savons que la moutarde pouvait quand même atteindre 3 mètres, voire 4 de hauteur.

Je ne peux que vous encourager à lire ou relire les nombreux commentaires sur ce que pourraient représenter les différents éléments du récit.

Antoine Nouis, lui, dans « l’aujourd'hui de l’Evangile » met l’accent sur une pensée récurrente dans les Ecritures : le plus petit deviendra le plus grand, le dernier sera le premier… c’est comme un fil rouge tout au long tant du 1er Testament que du Nouveau et il assoie une affirmation incontestable : la pensée de Dieu n’est pas celle des hommes. C’est ce que nous pouvons aussi dire de cette courte parabole. Et le fruit produit est bien plus spectaculaire que le fruit attendu ; ne sommes-nous pas dans le domaine de l’Esprit Saint ? Cependant, la terre doit toujours jouer le rôle qui lui est dévolu : être assez minéralisée, assez humide, assez meuble pour que la semence devienne ce fruit, celui de l’Esprit. Amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi… et la terre, c’est nous, c’est moi, c’est toi…

 

3) Jésus parle en privé : « En privé, il expliquait tout à ses disciples »… Le Nouveau Testament commenté dit, je cite : « Les paraboles évangéliques font appel à la fiction. (…) elles tentent d’instaurer une compétence interprétative chez les auditeurs lecteurs. Lorsqu’elles atteignent leur but, elles provoquent une transformation de connaissance toujours orientée vers un nouveau savoir faire. Ce sont de petites œuvres complètes situées comme un exposant du récit principal pour l’ouvrir à un sens possible.  (…) elles agissent dans l’évangile comme ouvreuses de sens, pour signifier à travers une certaine démesure ou extravagance l’inattendu du Royaume de Dieu à venir et son extraordinaire générosité »[1].

Aujourd'hui, comment entendre, de la bouche même de Jésus ressuscité, « en privé », ces « ouvreuses de sens » ? Je vous en propose un déjà posé : la terre, c’est nous, c’est moi, c’est toi… Il faut minéraliser cette terre… voilà, me semble-t-il, d’abord, une belle exhortation à une lecture suivie des Ecritures, à un temps régulier consacré aux recherches, à une écoute ou une lecture attentive de commentaires dont nous disposons à profusion, et qui nous apporterons les minéraux nourrissants nécessaires à la graine. La prière, elle, fera de toi le lieu d’accueil de cette graine que l’Esprit dépose en toi, et fait germer. Alors son fruit se déploiera: amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi… et la terre c’est nous, c’est moi, c’est toi.

 

Conclusion :

Dans nos paraboles, un homme sème, la graine produit l’herbe, puis l’épi et enfin le grain. Pour nous, l’Esprit ensemence nos cœurs d’une graine dont le fruit viendra à coup sûr, à maturité : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi… Lâche prise… laisse aller… que tu dormes, que tu manges, quoi que tu fasses, ce grain va germer dans la terre qui le porte. Je sais, il y a les oiseaux, les limaces, les taupes, la mauvaise herbe, la sécheresse ou l’inondation, et tout un tas de trucs hostiles à sa germination ; et notre part n’est-ce pas d’être là pour veiller au grain, si je puis le dire ainsi ?

Et pour aller plus loin, et pourquoi pas, entrer en « disputatio », vous ne couperez pas à une histoire d’Antoine Nouis « Un homme avait un très beau jardin avec des fleurs, une pelouse, une pièce d’eau, un potager et quelques arbres fruitiers. Un de ses amis très religieux aimait lui faire des visites, car il appréciait le calme du jardin qui avait une certaine ressemblance avec le paradis.

L’ami disait souvent : « Dieu et toi, vous avez vraiment fait du beau travail dans ce jardin. Il répétait toujours la même phrase jusqu’au jour où le jardinier, agacé, a fini par répondre : Dieu et moi, Dieu et moi… tu aurais dû voir la tête du jardin avant que je n’arrive, quand il n’y avait que Dieu qui s’en occupait !

L’humain est placé dans un monde qu’il doit mettre en valeur et faire fructifier comme on cultive un jardin ».[2] Amen.

 

[1] Camille Focant et Danier Marguerat « le Nouveau Testament commenté » p. 176

[2] Antoine Nouis Un catéchisme protestant » p. 302

Publié dans Prédications

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